Un monde flamboyant
Siri Hustvedt – Un monde flamboyant – Editions Actes Sud – 400 p. – Traduction Christine le Bœuf
4ème de couverture :
Méconnue de son vivant, une artiste new-yorkaise, Harriet Burden, fait, après sa disparition, l'objet d'une étude universitaire en forme d'enquête qui, menée auprès de ceux qui l'ont côtoyée, dessine le parcours d'une femme aussi puissante que complexe n'yant cessé, sa vie durant, de souffir du déni dont son œuvre a été victime.
Epouse irréprochable d'un célébre galeriste régnant en maître sur la scène artistique de New York, mère aimante de deux enfants, "Harry" a traversé le vie de ses contemporains avec élégance et panache, déguisant en normalité triomphante son profond exil intérieur au sein d'une sociégé qui s'est consciencieusement employée à la réduire au statut de "femme de" et d'artiste confidentielle.
La mort brutale de son mari signe, pour Harriet, un retour aussi tarif qu'impérieux à une vocation trop longtemps muselée qu'elle choisit de libérer en recourant à deux reprises, à une mystification destinée à prouver le bien fondé de ses soupçons quant au sexisme du monde de l'art. Mais l'éclatant succès de l'entreprise l'incite alors à signer témérairement un pacte avec le diable en la personne d'un troisième "partenaire" masculin, artiste renommé dont le jeu pervers va lui porter le coup de grâce.
Gravitant de masques en masques, et sur un mode choral autour de la formidable création romanesque qui constitue le personnage de Harriet Burden, Un monde flambloyant s'impose comme une fiction vertigineuse où s'incarnent les enjeux de la représentation du monde en tant que réinvention permanente des infinis langages du désir.
Mon avis sur ce livre :
Un grand roman, foisonnant et étonnant sur le destin d’Harriet Burden, surnommée Harry, femme artiste qui plutôt que d’être niée par ses pairs va choisir des "nègres" artistiques pour montrer son travail et construire son œuvre. Encore une fois Siri Hustvedt nous raconte avec intelligence et brio ce monde de l’art déjà abordé dans "Ceux que j’aimais", les disparités entre les hommes et les femmes et leur rôle dans la société de l’époque. A travers une sorte d’enquête, regroupant témoignages de tiers et morceaux choisis des carnets d’Harry, le lecteur découvre petit à petit la vie d’Harriet Burden mère, femme de collectionneur et artiste elle-même. Voyage à travers la personnalité complexe et l’intimité psychologique d’une artiste prolifique et hors norme, ce roman décortique les méandres de la création et de son interaction avec les autres et les codes sociaux.
Cachée derrière trois de ses amis, Harry présente ses créations à travers eux pour éviter que son travail ne soit dévalorisé ou sous-estimé par le fait qu’elle soit une femme, c’est non pas une œuvre mais trois qu’Harry devra construire pour coller à la personnalité de chacun d’eux. Contrairement à ce que le lecteur peut penser, elle n’est pas une victime mais plutôt une sorte de manipulatrice névrosée et lucide qui utilise ces trois hommes pour une reconnaissance par procuration de son travail. Mais Harriet saura-t-elle jamais si son talent est reconnu pour tel ou pas ? Si le fait que son œuvre présentée sous couvert masculin implique une déformation de la perception faite de celle-ci ? Aurait-elle finalement eu plus de reconnaissance en se présentant elle-même et en donnant une dimension féminine à son travail ? Beaucoup de questions et de doutes finalement… Aura-t-elle eu raison de ne pas faire confiance à son propre talent ?
J’ai beaucoup aimé ce roman qui reste avec "Tout ce que j’aimais" et "Un été sans les hommes" l’un de mes préférés. J’ai aimé le portrait de cette femme et la façon dont l’auteur nous présente cette personnalité complexe et fragmentée à travers les écrits de ses amis, de ses enfants ou à travers ses propres carnets. Leur perception de cette femme, artiste ou mère, est tout au long du récit finement analysée, que ce soit la démarche créative d’Harriet ou son intimité de femme et de mère, l’analyse est travaillée et brillante. J’ai retrouvé tout ce que j’aime chez Siri Hustvedt : ses thèmes de prédilection comme la création, la psychologie, le monde de l’art, l’intimité du couple, la reconnaissance artistique ; la finesse de construction du récit et l’intensité narrative de ses romans précédents ; l’écriture précise et exigeante.
Un roman exigeant et dense, bouleversant et tendre qui nous raconte la vie d'une artiste à la personnalité forte et fragile à la fois. Je remercie Price Minister à travers son opération "Les Matchs de la Rentrée Littéraire" et les éditions Actes Sud pour la découverte de ce roman.